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Récits oniriques et musicaux
Lisez-moi est un choix de poèmes tirés du livre The Memory Theater Burned, publié par Turtle Point Press (New York) en 2004.
Comme le laisse supposer son titre, le livre de Damon Krukowski emprunte au monde merveilleux et mystérieux de Lewis Carroll. Mais en plus, il nous porte à l’écoute de multiples sources sonores, intérieures et extérieures, provenant d’une boîte à géométrie variable, ouverte et fermée en même temps. Un élixir rare à consommer sans modération.
Dans ces lignes en prose les tentatives d’énoncer l’évidence sont nombreuses, mais la vérité étant le plus fuyant des objectifs, les poèmes nous démontrent toute les difficultés rencontrées dans sa poursuite. Dans l’écriture Damon Krukowski joue de plusieurs voix : celle du chanteur (son métier dans la vie), du raconteur d’histoires, du névrosé sur le divan... avec l’écho de diverses sources littéraires : réthorique classique, écriture hermétique et toutes les sortes de mémoires, carnets de voyage et témoignages.
Ma vie comme l’histoire d’une ville
La ville a grandi le long d’une rivière, mais la rivière s’est asséchée. Personne ne se promène jamais, ne fait même le moindre pas dans son lit. Les plus belles maisons sont bâties avec vue sur la rivière. En marchant le long des berges, on peut voir l’intérieur des somptueuses pièces de ces palaces. Au-dessus, on voit le ciel dans toutes ses humeurs et variations. Les ponts, faits de bois, pourrissent lentement et sont remplacés. Les bateaux, immobiles depuis des générations, sont soigneusement réparés et repeints. Sans la rivière, la vie dans cette ville serait un enfer, poussiéreux et suffocant.
Pas un ordre ce titre manuscrit blanc couverture noire, plutôt kaddish; pas une supplique, plutôt dans – souffles et respirations bougent les lignes – qui nous dérobe un sens; pas un narrateur mais des avatars qui brinqueballent la logique attendue et brisent les miroirs de la mémoire; ce pourrait être les débuts recommencés en de courts chapitres d'une tragédie des familles, de sociétés en qui suis-je, mieux que cela; pas un rêve, plutôt « le plus beau solo de trompette » selon Rosmarie Waldrop, un ars poetica. « C'est pourquoi les étoiles peuvent répondre aux questions littéraires » écrit Damon Krukowski, qui chante, aime le vin français, dirige à Boston les éditions Exact Change (qui publient Stein, Artaud, Pessoa, Marker, Cage). Qu'est-ce qui est le plus grave ? Dire des mensonges en prétendant la vérité ou en s'en revendiquant ? La fantaisie prévisible ou l'irrationnalité de la poésie qui s'oppose, non sans humour, à la foi et aux mythes calibrés ? Entre « kaddish » et « peep show ».