par
Prose cinématographique
(Livre + CD audio)
Ouvrage épuisé
Ainsi il s’agit de cinéma dans le livre. Le livre devient écran et ceci, comme le dit Jean-Luc Godard, parce que le cinéma projette, et parce que le cinéma consiste en une relation particulière du réel et de la fiction. Dans ce sens, Flip-Book est un livre e-motion dans sa durée juste. Les courts plans séquences s’enchaînent en belle page sans fondu au noir, la phrase trouve sa vitesse et son fluide défilement. Un Flip-Book sans images, ni dessins, ni photogrammes? Oui, un Flip-Book avec des mots. Nous reparlerons de ces lignes car les collures de Jérôme Game résisteront à la tension et au temps, feuilletées en temps réel et la lecture orale de l’auteur sur le CD restitue pleinement la dimension syncopée de cette écriture en mouvement.
Forest est lourd, il est léger. Rentre dans le noir intact, glisse, du noir dans le noir, brillant. Sa peau est mate, son hood épais. Sa grosse silhouette procède du noir, bouge, lentement.
Il longe le mur sur le trottoir, vient se servir, avise un parking protégé d’une grille. Ghost Dog sort une pince de son hood, fait sauter la chaîne, la Mercedes la Lexus est là brille, silencieusement. Il a un beeper, l’épaisse portière se boucle derrière lui son épaule, son corps est dedans. Le cuir crisse. Il allume le coupé s’extrait du parking dans L.A. désert, glisse, sans un bruit.
Tourne à gauche, tourne encore, à droite, appuie le disc brillant tournoie dans ses doigts, s’insère dans la fente, le vert pâle des vitesses le rap emportent Forest.
L’hélicoptère le suit, tourne à droite appuie. Il file, trace dans L.A. opaque son ombre, rebondit, disparaît.
Nathalie Quintane dans Sitaudis a écrit:Un petit livre comme un clap de début / clap de fin / silence on tourne / l'oeil rivé à la caméra Game voit et revoit les scènes les acteurs le cuir souple des banquettes dans les voitures où ça transpire / les ongles rouges des filles / les lumières dans la nuit les buissons / et hume et sent et se laisse envahir par la chaleur du whisky et se laisse aller tout entier dans le plan dans le film / se laisse aller mais voilà qu'il est au combat et ah mais non dans la voiture avec cette fille qu'on imagine sensationnelle sa peau ses seins et là une autre à genoux lèvres entrouvertes / voitures fermées / décapotables / Ben Gazzara / Gena Rowlands vous y êtes vous êtes à Hollywood / Manhattan vous y êtes / avec lui / dans le peep show / dans la chambre où, sous le Christ en croix, un couple halète / que du bonheur à lire la voix de Game à écouter qui vous glisse dans la gorge comme un bon vieux bourbon. Fascinant.
Le Jérôme Game 1 était reconnaissable à ses apnées de la diction dont un texte à trous/ruptures/reprises/apocopes donnait l'équivalent plastique : écriture "expériencée" de manière évidente, presque volontariste, et qui masquait sans doute les glissements sensibles dont elle était capable.
Flip-Book est le livre du spectateur dans le film, voyant qu'il voit le film et débordé par lui. L'hypnose propre à l'expérience de cinéma trouve en Jérôme Game 2 la fluidité coupée de mots/plans la mieux à même de la restituer. (…)