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Formes poétiques nourries de formes musicales (reparution)
Comment écrire un livre de poésie quand on a passé son temps à écouter de la musique ? En composant sur la page des quatuors à cordes qui se la jouent Bartók ? En prenant les lyrics de Tom Waits pour parole d’évangile ? En racontant les aventures d’une harmonie municipale qui aurait trop lu Queneau et trop entendu Ayler ? En fabriquant des poèmes-accordéons pour les musiciens du Rouergue ? En tirant de pochettes d’album matière à une fantaisiste anthologie de la musique bulgare ? Découvrez tout cela dans ce livre en 5 parties titrées "Sept quatuors à cordes"; "Who are you (3:54)"; "Quatorze pièces faciles pour harmonie municipale"; "a,o,é,on"; "Anthologie de la musique bulgare vol. 2".
Les poèmes de Discographie ont été écrits entre septembre 1999 et le printemps 2000. Les éditions de l’Attente en ont d’abord publié deux séquences dans leur collection Week-end – « Who are you (3:54) » en juillet 2001 puis « Anthologie de la musique bulgare vol.2 » en janvier 2002 –, avant d’éditer l’ensemble à l’été 2002 en compagnie de mon deuxième livre, Banzuke. Un peu plus de vingt ans après, Discographie reparaît sous une nouvelle couverture de jeune premier. — FF
Lecture d'extraits choisis par l'auteur (in "Anthologie de la musique bulgare vol. 2", pp. 107,109-112, 116)
I (Formes)
Formes prenant l'air pavés
sonnants et trébuchants mains
que l'on tourne nuage froid
écharpes
Formes assises sur un banc
vert chien pissant contre
un réverbère nuage jaune
de fumée
#
Formes aux fenêtres regards
jetés sur les passants ronron
des radiateurs et sur la chaîne
un disque mat
Formes en ruelles contre-
jour découpant coupe-gorge
silhouette galop ou vieillard
assombri
#
II (Pierres)
Le premier lance une pierre
et attend puis lance une autre
pierre et une autre et une
autre pierre
Le deuxième lance une pierre
et attend attend une autre
pierre et renvoie la pierre
à l'envoyeur
#
Le troisième ne lance pas
de pierre ne renvoie pas de
pierre à l'envoyeur qui n'a
pas lancé
Le quatrième ne lance pas
et attend une pierre d'un
envoyeur qui lancerait la
pierre éventuelle
Adrien Meignan dans LA VIE SANS PRINCIPE a écrit:Un livre de formes, (…) qui emprunte en premier lieu, au modèle physique du quatuor à cordes le positionnement dans l’espace et, à la forme classique, la division en mouvements. Suit la traduction condensée des 90 folk songs qui composent les six derniers albums de Tom Waits, puis vient "Quatorze pièces faciles pour harmonie municipale", qui pourrait être une quatorzine, forme inventée par Raymond Queneau par extension de la sextine. ‘Rapatitata boum boum’. a, o, é, on, 9 poèmes en forme d’accordéon, suivi d’un Anthologie de la musique bulgare, volume 2, onzains de prose. Enfin, Signe de renvoi et Quelques précisions. Frédéric Forte oulipien? Certainement.
Alain Nicolas dans L'Humanité.fr a écrit:Tout est explicite dans Discographie (car expliqué dans les dernières pages) et c’est un livre réjouissant pas seulement parce qu’il redonne de la vitalité aux pratiques oulipiennes, mais aussi parce qu’il incite son/sa lecteurice à abandonner son dévouement durant la lecture au profit du plaisir qui peut être pris. Traverser un livre n’est pas porter tout le poids de l’auteurice sur les épaules. Iel ne nous surveille pas et nous pouvons nous permettre d’effectuer sciemment des erreurs d’interprétation comme je l’ai fait avec le quatuor à cordes n°5 de Bartók et Forte.
Séquelle #40
Poésie etc. Musique
De Tom Waits à Bartok en passant par les accordéonistes du Rouergue et les harmonies municipales, comment remettre à sa place la musique, populaire ou savante, en poésie ? Avec Discographie, Frédéric Forte propose une nouvelle approche, malicieuse et inventive.
Discographie
de Frédéric Forte
L’Attente. 128 pages, 11 eurosSept quatuors à cordes, quatorze pièces pour harmonie municipale, quatre-vingt-dix folk songs de Tom Waits, neuf poèmes en forme d’accordéon (du Rouergue), c’est peut-être ça la musique en poésie. Entendons-nous : si l’on s’accorde sur le lien originel de la musique et de la poésie, si l’on aime souligner la musique des mots, le rythme des vers, la profondeur du chant des poètes, il y a une autre façon de parler musique qu’en lançant comme Musset « Poète prends ton luth ».
La musique en poésie, ce peut être alors ces quatre petits blocs de texte, quatrains répartis sur la page comme les quatre pupitres des musiciens d’un quatuor, du premier violon, à gauche au violoncelle à droite. Comme pour faire l’hypothèse que le sens de l’écriture pourrait aller du plus aigu au
plus grave.« Formes prenant l’air pavés »
Est-il écrit dans les premières lignes du premier quatrain, ou si l’on veut des premières « mesures » de la « partition du premier violon ». On lira celles des autres « instruments »
« Formes assises sur un banc »
« Formes aux fenêtres regards »
« Formes en ruelles contre-jour »Frédéric Forte installe ainsi une sorte d’harmonie entre les blocs de texte, où l’unisson se met à diverger au fur et à mesure que le thème se développe, sans cependant que les différentes lignes se perdent de vue. Le mode de dialogue interne à la page peut varier, comme dans le mouvement « Étapes » du premier quatuor qui expose plusieurs moments d’une course cycliste, ou « Garage », qui renvoie à différents états d’un lieu partagé entre ordre et désordre. Un jeu à lancer et recevoir, comme dans le premier quatuor, le mouvement « Pierres ».
La lecture de ces « Sept quatuors à cordes » – les six de Bela Bartók plus un, précise l’auteur- montre la variété de sa thématique comme la finesse des jeux de forme et de composition, de typographie et de ponctuation, depuis la variation du même jusqu’à la narration classiquement enchaînée, en passant par l’expression émue de la simple contemplation amoureuse :
« Toi dans ta robe et tes
yeux de charbon moi
partagé entre le regard
et te déshabiller »Il y a beaucoup à découvrir dans ce livre de quatuors, une fois entré dans le dispositif, qui se laisse pénétrer aisément, et qui laisse au lecteur le plaisir des trouvailles. Il suffit de se prendre au jeu.
« Jeu » : le mot vient naturellement à l’esprit en présence des textes de Frédéric Forte, et s’accorde aussi bien à la musique qu’à son approche de la poésie, jeu sérieux comme il est de règle à l’Oulipo(*) dont il est membre.On trouvera ainsi dans « Who Are You (3 :54) » une extraction de la substantifique moelle de 90 chansons de Tom Waits appartenant à six albums (de Swordfistrombones à Mule variations pour ceux qui aiment, et pour les autres, qui découvriront et –forcément- aimeront). À raison d’un fragment de vers traduit par chanson, (« grande ville sombre lieu » pour « big dark town » dans « Underground », première chanson du premier album) l’ensemble constitue un portrait sévèrement buriné du chanteur et une bonne réponse à la question « Who are you ? ». Se lit en 3 minutes 54 secondes.
On aimera beaucoup « a, o, é, on », 9 poèmes en forme d’accordéon, dont la forme évoque le « coup de soufflet » de l’instrument, avec un buisson de cinq mots au début et à la fin de chaque poème, comme les doigts de l’instrumentiste, séparés par les quelques mots, avec lesquels ils dialoguent, d’un titre issu de la discothèque des accordéonistes du
Rouergue.« Ma petite bourrée »
ou
« Le Rossignol »
ou encore
« La bas le long de la rivière »Comme pour Tom Waits, nous sommes bien dans une discographie.
Plus savantes, les inattendues « Quatorze pièces faciles pour harmonie municipale », composées selon un procédé très oulipien, la « quenine », règle de permutations basée sur les « nombres de Queneau », -ici le 14. L’auteur en donne la clef, heureusement pas indispensable pour savourer la restitution de l’atmosphère des orphéons et des kiosques à musique, le
charme désuet des inaugurations « troisième république » où sous le martellement de la grosse caisse les cuivres s’époumonent en plein vent.On laissera enfin planer le mystère sur l’étrange « Anthologie de la musique bulgare » qui comme le dit l’auteur n’a « qu’un lointain rapport avec la Bulgarie ».
Mais faut-il qu’il y ait un rapport ?Alain Nicolas