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Méta-ironie et sublime
Les questionnements autour du champ sémantique de l’idée de créativité avec Marcel Duchamp influencèrent certes beaucoup d’artistes du XXème siècle. Mais que penser de la nouvelle fonction de l’art dans un monde désenchanté ?
Qu’en est-il de l’art autonome en tant que vision sociale ? L’analyse esthétique et concrète de «Duchamp romantique» amène un peu de sel sur la planche de nos réflexions pour poursuivre nos recherches en continuant d’affiner notre «frisson rétinien». À bon regardeur, salut !
Grâce à l’ironie, l’Idée est œuvre et l’œuvre aussi est Idée, lorsqu’elle surmonte la limitation de sa forme de présentation et s’ouvre au domaine de l’œuvre invisible . L’ironie devient ainsi, pour l’esprit, le seul moyen d’affronter ce qui est nul, en même temps qu’il est le masque d’une impuissance à son égard. Elle s’élève au-dessus de tout le fini et même au dessus de l’art, de la vertu et de la génialité propre .
Cette « génialité », l’activité du Moi suprême, coïncide avec « la poésie transcendantale » : l’Idée de l’art consciente d’elle-même. En tant que réflexion de la forme, l’Idée de l’art englobe tous les matériaux et pratiques et, dans une plasticité allant de l’un à l’autre, ne s’identifie ni ne se réduit à aucun en particulier. Ce sont l’Artiste et sa pensée de l’art qui importent et non la matérialité des œuvres.
LIRE PLUSL’arbitraire de l’artiste, comme principe premier du romantisme, exige de lui qu’il soit « Artiste » de part en part. Il se doit d’être et de vivre « l’Art » en personne, et il ne le peut que par jeu et ironie. L’attente, l’abstinence d’œuvre, le désœuvrement intense ou le travail épuisant et inutile seront les chiffres symboliques de sa relation à l’absolu dans un monde profane.
Cette conception de la génialité romantique, du Witz, a trouvé en Marcel Duchamp sa réalisation radicale. Tandis que les mondes romantiques de nostalgie, de désir, de rêve, de lyrisme, de syncrétisme mythico-alchimique et d’imaginaire en général se sont réactualisés, selon les contextes, en différentes écoles romantiques, ou symbolistes et même dans le Surréalisme. Duchamp lui-même – ses premières peintures le montrent – s’enracine directement dans le Symbolisme, malgré ce que ses toiles doivent à l’impressionnisme, au fauvisme, au cubisme et au futurisme. Par exemple, « l’androgyne », l’un des mythes fondamentaux du Symbolisme, restera une constante chez lui : depuis l’image primordiale et cosmique du jeune homme et de la jeune femme autour de l’arbre, jusqu’à la moustache et la barbiche de la Joconde ou à son propre déguisement féminin en Rrose Sélavy.
Pour le peintre Duchamp, le tournant décisif – et désespéré : parce que Duchamp, plus que tous les autres, était profondément attaché à la signification symbolique et spirituelle de l’art – a été dû à une prise de conscience de ce qu’il advient de l’art, selon la parole de Walter Benjamin, « à l’ère de sa reproductibilité mécanique ». Les autres peintres ont intégré les effets de la reproductibilité technique à leurs pratiques, comme Duchamp lui-même pendant un court moment, avant que cela n’entraîne pour lui une rupture radicale au niveau des principes. Cette conscience aiguë des métamorphoses mécaniques et machiniques du monde – et dans l’ordre des images, de la reproduction technique dont dépend même Étant donnés, l’œuvre finale – a été essentielle. Contrairement à ses amis surréalistes, Duchamp ne privilégie pas l’univers du rêve poétique ou mythico-alchimique contre le devenir machinique et matériel du monde. Mais il « œuvre » et traverse, de manière ironique, cette nouvelle réalité, avec ses pratiques mécaniques, techniques et « scientifiques ».
« À l’ère de la reproductibilité technique », quand l’activité scientifique remplace la magie et l’alchimie et que la valeur « cultuelle » des œuvres cède à leur valeur d’exposition, l’occulte devient Témoins oculistes ; « la clarté divine », la transparence du verre ; l’éther, le gaz d’éclairage. Et l’ésotérisme prend pour masque le banal et le trivial.
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