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Le retour du mort-vivant
Le temps d’une nouvelle, Éric Pessan nous entraîne dans un quotidien qui bascule brutalement dans le fantastique. Tout commence par une banale agression dans un train de banlieue… Entre foule indifférente et migrants résilients, Untoten embarque dans un voyage troublant qui questionne les certitudes bien-pensantes. Indispensable pour, un jour, peut-être, savoir renaître.
Lecture d'un extrait par l'auteur
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(p. 9-10)
Au fil des années, le geste est devenu un petit rituel inconscient : l’index et le majeur de la main droite se portent au poignet gauche et écoutent battre le sang. Le geste est machinal ; trouver la veine, exercer une légère pression et la sentir pulser se fait sans réfléchir, il n’y a plus besoin de chercher, les doigts se posent d’emblée pile au bon endroit, là où la peau semble plus fragile, plus fine.
Souvent, vous écoutez battre votre cœur, vous n’avez jamais porté de montre-bracelet, vous boutonnez rarement les manches de vos chemises, la veine est libre et l’évidence de votre pouls vous rassure : quelque chose encore vit en vous, la pompe fonctionne, le sang circule, la mécanique se maintient.
Vous avez si souvent l’impression d’être mort que vous vous étonnez parfois de ce que le cœur ne renonce pas.
Cahoté, vous vous laissez emporter, vous avez déniché une place assise à l
étage de ce RER, les passagers se tiennent au-delà du brouillard dont – par défense ou indifférence – vous savez si bien vous entourer : des silhouettes, des figurants sélectionnés par un chef opérateur consciencieux de capter en arrière-plan une fresque sociologique la plus réaliste possible : des hommes des femmes des adolescents des personnes racisées issues de l’immigration des grands des petits. Plusieurs langues sont parlées alentours, même si – dans leur écrasante majorité – les gens se déplacent seuls et se taisent. Vous voyagez dans la cohue ordinaire. Vous n’avez pas d’écouteurs, vous ne jouez pas sur un téléphone, vous ne lisez pas des courriels ni ne distribuez des pouces ou des cœurs sur les réseaux sociaux, vous attendez, flou, que le trajet, indécis, s’achève. À dire la vérité, vous n’avez aucune idée de l’endroit où vous vous trouvez, vous allez d’un point A – où s’est tenue une fastidieuse réunion avec des élus municipaux ne voulant rien entendre – à un point B, une gare – où vous prendrez un métro pour vous rendre à une autre gare, où vous monterez dans un TGV qui vous conduira à une gare lointaine, où vous attendrez un bus qui vous laissera en bordure du périphérique, où vous retrouverez le véhicule garé ce matin aux alentours de 6h pour regagner votre domicile dans le bourg d’un village de banlieue. Ces allers et retours incessants entre votre maison et les villes nouvelles d’Île de France font partie des charges de votre emploi. Deux à trois fois par mois, vous vous déplacez pour aller rencontrer des élus, des agents territoriaux, des maires parfois.
Votre corps cette après-midi est particulièrement épuisé, vous peinez à ne pas fermer les yeux, à résister au tangage irrégulier du train.
Sébastien Brebel a écrit:Publié en avril 2023 aux éditions de l’Attente, « Untoten » est peut-être bien l’un des textes les plus saisissants, à ce jour, d’Éric Pessan, qui a pourtant rarement manqué de nous surprendre et de nous réjouir au fil de ses chemins de traverse littéraire ces dernières années...
Yves Mabon dans LYVRES a écrit:Moi aussi je recommande absolument la lecture de Untoten, livre aussi étrange que dérangeant, porté par une écriture phénoménologique qui peut rappeler la Modification de Butor dans les premières pages de ce récit et nous entraîne par la suite dans un crépuscule de fin de monde. Envoûtant et sombre (comme j’aime) !
Sébastien Brebel
Lecteurs dans Babelio a écrit:L'écriture d'Eric Pessan est comme toujours, fine, délicate, élégante, précise et belle. Mais qu'il va m'être difficile d'en parler, tant il est dense et m'a chamboulé.
Ce texte dans lequel l'auteur s'adresse à l'homme en le voussoyant est magnifiquement écrit. L'écriture d'Eric Pessan est comme toujours, fine, délicate, élégante, précise et belle. Mais qu'il va m'être difficile d'en parler, tant il est dense et m'a chamboulé.