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Désordre centralisé
Comment atteindre le fondamental en partant du dérisoire, d’un fouillis inquiétant et familier ? Nous sommes perdus, lost in translation, égarés dans le langage, dans des espaces difficiles à habiter, entre les cases des formulaires… Les chapitres-dossiers de ce tiroir central exposent des repères qui font signe : découvrir un certain sens au désordre, s’y reconnaître, retrouver un passage, un endroit déjà connu et de là, enfin, tracer son chemin, singulier et multiple.
Lecture d'un extrait par l'autrice
C'est compliqué. C'est compliqué depuis toujours. Mais, là ça dépasse l'entendement, au sens littéral. On fait dire aux mots des choses qu'ils ne disaient pas avant ou bien on leur interdit d'en dire davantage. Imagine : tu désignes d'un doigt tremblant une chose, ton doigt tremble car bientôt tu ne sauras plus en dire quoi que ce soit. Avant, les mots paissaient paisiblement à flanc de coteau, ils attendaient patiemment qu'on les trouve, qu'on les ramène au lasso, qu'on fasse un troupeau au carré, alignant comme il se doit ces gentils animaux dans un ordre harmonique. Aujourd'hui, à l'image des ours bruns, des dauphins et du moineau domestique, les mots s'étiolent et disparaissent.
LIRE PLUSDu coup, soit on se rabat sur ceux qui restent et un vocable rassemblera généreusement désormais sous son aile plein de significations différentes - à l'image d'une encyclopédie chinoise borgesienne, on entrera à nouveau dans un monde mythique acceptant le tohu bohu et le pithécanthrope dans la même case, si le mot compte double en plus, on pourra gagner la partie, (à condition, cependant, de trouver encore des gens avec qui jouer).
lecture de Tiroir Central par Delphine Bretesché
REGROUPERAdrien Meignan dans Un dernier livre avant la fin du monde a écrit:En lisant l’ouvrage de Sophie Coiffier, j’ai repensé aux tiroirs fourre-tout : mes parents en avaient un, mes grands-parents aussi, et j’adorais les ouvrir pour en retirer un bric-à-brac d’objets, de photos, de vieilles paires de lunette, de briquets à étoupe, de bijoux moitiés cassés, de clés qui ouvraient des serrures perdues… des choses qui participaient au désordre d’autrui et dont – parfois – la signification m’échappait totalement. J’ai aussi réalisé que je ne possédais pas chez moi un tel tiroir, il est sans nul doute réservé aux gens ordonnés, ceux qui rangent tout et doivent parfois renoncer à le faire pour une chose spécifique qui n’a sa place dans aucune étagère ou une photographie qui ne peut se coller dans un album ; en ce sens, ma maison entière est un tiroir central. Tout ça pour dire que le livre de Sophie Coiffier qui sort dans quelques jours aux éditions de l'Attente est une sorte d’inventaire du tiroir central d’un buffet intime. « Nous sommes tous les secrétaires provisoirement définitifs de nous-mêmes. La vie contemporaine le veut plus que tout. Nous devons nous classer, nous ranger, trouver une place, nous réconcilier avec un monde dont l’ordre était là avant que nous arrivions », écrit-elle ; et de cette tentative de classement en 10 chapitres (qui forment comme le tracé du vol d’une mouche contre une vitre), l’autrice en tire un livre drôle, puissant, dénué de nostalgie, où le langage lui-même tout à la fois résiste et collabore à cette tentative de mettre un peu d’ordre dans le fouillis généré par nos existences.
Yves lecteur dans Les libraires.fr a écrit:"Naviguant entre les livres et les lieux, la poète construit un endroit pour se poser, restituer le désordre dont chaque vie est faite. L’absence de linéarité n’est pas ici cacophonique. Au contraire, il sort du Tiroir central une mélodie proche de la saudade. La joie triste de voir son monde qui évolue incite le lecteur à se faire discret. Nous sommes ici des spectateurs effacés d’une réflexion dont seule Sophie Coiffier détient la clef. Nous nous devons de faire silence et écouter ce récit qui jaillit plus qu’il ne s’écoule."
dans YEUSE RADIO:"Je ne sais plus qui disait que l'écrivaine n'a pas forcément une vie plus riche qu'un autre, mais qu'elle a le talent de la raconter. Ces textes de Sophie Coiffier en sont l'exemple parfait. Quasiment rien de ce qu'elle raconte n'est extraordinaire, je me suis même remémoré quelques souvenirs personnels très proches. Mais les ressemblances s'arrêtent ici, là où moi, je serais plat et sans saveur, elle sait intéresser et procurer un réel plaisir de lecture. "
Entretien avec Eric Pessan