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Rêve à l'encre violette
Dans tous ses livres, pour la plupart des romans, Dominique Fabre a l’art de donner chair à des héros anonymes, les petites gens du quotidien et autres êtres ordinaires. Il déclare : «Ce sont des histoires de gens venus d’ailleurs, des histoires de gens que l’on croise sans se retourner, d’amitiés ébauchées, de voisinage, des histoires d’amour instantané avec les passagères du bus et du tramway, des histoires d’enfants qui grandissent et de vieilles personnes qui meurent...»
En une sorte de rêve éveillé en forme de récit poétique, se dessine une réalité sociale et affective à travers le personnage d’un postier Antillais, dans un monde du travail qui s’embrume et se délite et où certaines enveloppes brillent plus que d’autres…
Je t’ai écrit une lettre à enveloppe
transparente
le postier qui l’a sortie
de la boîte jaune fluo souriait
encore une aujourd’hui
il ne l’a pas rangée avec les autres
il l’a mise là devant
par-dessus la boîte à gants de l’auto de la poste
où sont rangées les choses ampoules feux stop
paquets de chewing-gum entamés vieux
tickets de caisse il a continué sa tournée
le postier Antillais
parfois des poèmes lui retournent de lâ€
™enfance
mais comme tout un chacun se hâte
de les oublier pour conduire son auto
ramasser son courrier cocher les cases
partout où on veut vous en faire cocher
les lettres à enveloppes transparentes
j'en envoyais beaucoup adolescent
puis, j'ai perdu mes pouvoirs magiques
et ils sont revenus lÃ
quelques années avant, quelques années après
va savoir en tout cas l'Antillais
a gardé le sourire
n’a pas commenté sur ces types qui le
klaxonnaient à l’arrêt
parce que son auto jaune fluo leur faisait perdre
5 secondes
de travail salarié et sans doute pour certains
parce qu’il avait la peau noire
il lui restait quelques kilos supplémentaires
de courrier
à ramasser dans les boîtes
mais j’étais la seule lettre à enveloppe transparente
ce jour-là .
REGROUPER
«Pour ce qui est de l’écriture je veux de plus en plus m’orienter vers une sorte de pauvreté et de dénuement», écrivait Dominique Fabre à son éditeur à propos de ce nouveau recueil de poèmes. On y retrouve les thèmes de l’auteur de Photos volées (L’Olivier, 2014) : la banlieue, la mélancolie sympa de la routine, les métiers précaires. Les courts textes, sans ponctuation - en effet tout de dénuement - commencent par «Dans le train du soir», «Quelque part», «Parfois», «Un jour». Fabre y décrit la tournée d’un facteur antillais, l’irruption onirique d’enveloppes au papier transparent, et se souvient de lettres reçues, «de ma mère», «d’une fille nommée Angela», «de mon copain Etienne». Le tout est à inscrire dans la lignée des promenades poétiques dans Paris à la suite de Queneau, Roubaud, Jouet ou Réda : «Est arpentée la ville entière / sur le marchepied d’un vieux train / il y a tellement de lumière».