Sélectionner une page

Il faut toujours garder en tête une formule magique

par Virginie Poitrasson

Récit textile
Avec le soutien du Centre National du Livre

Quand l’écriture essaie à la fois d’être événement, retranscription, décryptage et réflexion.
De son imaginaire indiscipliné, aux structures narratives polymorphes, Virginie Poitrasson emprunte des bribes d’enfance, des amorces de contes, des figures féminines traversantes, des clichés désamorcés, des strates de fables contemporaines, tissant de nouvelles formes de discours qui interrogent notre subjectivité. Ce sont ces couches de texte où la formule magique – formule toujours informulée – est ce qui fait lien entre chaque page. Cette formule se déploie entre les signes, dans l’interstice des phrases, naît et se forme dans l’entre-deux du texte. Elle est ce lien puissant tout à la fois de violence et de douceur qui nous anime et nous rattache les uns aux autres.

Voir l'image de couverture

Parution :
Artistes de couverture :
Thématiques :
Extrait :

FICTION I
Et patati et patata
Tralala

Les mains posées au sol. Tu ne m’attraperas pas. Les graviers s’enfoncent dans mes paumes, accroupie sous le buisson, culotte de coton. Et ce sourire encore si blond. Tu ne me vois pas. Tu ne me trouves pas. J’ai la meilleure cachette. Les yeux clos, je m’enfonce dans le buisson encore plus profondément et cette odeur entêtante du buis. Rien ne dépasse. Même si la jupe arc-en-ciel est là pour rappeler l’éclat de mon rire.
Encore s’enfoncer encore dans le buisson vert.
Et patati et patata
Je vais rester toujours là cachée, protégée des travers, des orages, de la grêle de paroles. Et les yeux fermés, accroupie, je rapetisse, je prends la taille d’un petit animal. Et mes cheveux poussent, m’enveloppent, me cachent, me recouvrent complètement. Toute petite, je suis perdue dans ma jupe. Arc-en-ciel. Les cheveux si longs, si blonds, et tu as bientôt fini de compterâ

LIRE PLUS

۠:
« 47, 48, 49, 50 ! Où es-tu ? Je vais te trouver ! Ah ! Sous le banc ? Dans la remise ? Vers le poulailler ? Et le clapier à lapins ? Derrière le sapin ? Ou sous une bûche ? Mais où es-tu ? »
Et patati et patata
Mes mains s’enfoncent dans le sol, de plus en plus, bientôt jusqu’aux coudes, maintenant jusqu’aux épaules. Cette terre noire et grasse m’absorbe doucement. Je m’enfonce dans ce terreau, il est chaud et humide, j’y respire facilement, comme un coussin d’air. Plus que les pieds. Je perds une sandalette dans l’histoire, abandonnée sous le buis. « Je vais bien finir par te trouver ! » Et c’est comme se mouvoir dans un énorme édredon de plumes : le corps pesant, la plume légère. Bientôt mes yeux s’habituent à la noirceur et des petits éclats de quartz se mettent à scintiller. Underground sky.
Tralala
On ne me trouvera pas là, c’est sûr, sous ce ciel de quartz, dans cet édredon chaud et confortable, je me sens en sécurité, protégée des jeux cruels. Je te tiens, tu me tiens par la barbichette. Tiens ! Qu’est-ce que c’est ce point plus lumineux que les autres et qui s’agrandit ? Il est haut dans le ciel et m’éblouit.
« Hé ho ! Y’a quelqu’un ? Tu es là ? Je vais te trouver ! »
Et hop, me voilà hissée en dehors de mon trou, éblouie, ébouriffée, je grandis entre-temps et ne rentre plus sous le buisson.

REGROUPER
Critiques :Laue Egoroff dans France Culture a écrit:

Bribes d’enfance, amorces de contes, figures féminines, clichés désamorcés, strates de fables contemporaines : l'écriture de Virginie Poitrasson restitue au plus près un imaginaire foisonnant mêlé de souvenirs intimes et des quêtes et failles de notre époque.

Élizabeth Legros Chapuis dans Association pour le patrimoine autobiographique a écrit:

Partant de la question « qu’est-ce qu’être femme ? », Virginie Poitrasson rappelle que souvent, la femme est vue comme un être diffracté, sujet à de multiples identifications.

Alain Nicolas dans L'Humanité a écrit:

L’auteur d’Il faut toujours garder en tête une formule magique file avec subtilité et énergie les associations entre texte et textile, entre textile et imaginaire de la féminité.


À propos de l’auteur

Virginie Poitrasson est née en 1975. Originaire de Lyon, elle a vécu à la Nouvelle-Orléans, à New York et vit aujourd’hui à Paris. Écrivain, plasticienne, performeuse et traductrice, elle explore les frontières entre les genres et les modes d’expression langagiers et plastiques (sons, vidéos, sérigraphie).
Elle traduit de nombreux poètes américains : Michaël Palmer, Lyn Hejinian, Cole Swensen, Marylin Hacker, Charles Bernstein, Jennifer K.Dick, Michelle Noteboom, Shanxing Wang, Rodrigo Toscano, Laura Elrick, et collabore régulièrement à des séminaires de traduction.

Bibliographie

• Le pas-comme-si des choses, L'Attente, 2018 • Il faut toujours garder en tête une formule magique, L'Attente, 2012 • Vraisemblance du perméable, avec l’artiste Gabriele Chiari, Méridianes, 2011 • « Autour de Pierrette Bloch », dans Le Geste à l’œuvre, collection Beautés, Lienart, 2011 • Journal d’une disparition, Ink #1, 2010 • Écrivains en séries, collectif 133 séries vues par 99 écrivains, saison 2, Léo Scheer, 2010 • Nous sommes des dispositifs, bilingue français-italien, La Camera verde, 2009 • Demi-valeurs, L'Attente, 2007 • Série ombragée, Propos 2 éditions, 2006 • Épisodes de la lueur, L’Atelier du Hanneton, 2004 Traductions • Lentement (Slowly), de Lyn Hejinian, collection dirigée par Juliette Valéry, Format Américain, 2006 • Première figure (First figure) de Michael Palmer, co-traduit avec Éric Suchère, José Corti, 2011