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Colorimétrie mentale
David Lespiau écrit une série de textes sur la couleur jaune dont voici les premiers volets. Un jaune aux multiples symboles et usages dans la langue. Ici la couleur devient un verbe, une vitesse à l’allure de peinture fraîche… Qui s’y colle en garde des traces. Rayon, spectre, synthèse… où le mot poème (sans e) a la forme d’un revolver — sans fin, visant toute métamorphose…
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Une amibe se désenkyste. Gélule
la phrase encapsule des taches jaunes
entre chaque mot
ce que tu décoques tu le stockes où ?
gin jaune huilé. Allitérations de synthèse.
Formes gravitationnelles
de l’alcool. Des homophonies relevées en bulles
tonic et paille coudée, siphon
urine, foutre et mouille
huile de serpent
yeux mouillés, nez mouché
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excrétion peinte, jaune,
au-dessus d’un revolver rouge
excrétion d’huile épaissie de sang,
étalée avec la main, les doigts
jaune mental fluide, épais, corporel,
lymphatique blanchi de salive — traîné
un cheval à l’œil jaune, deux personnages
dessus à nez jaunes
acrobate d’un coup d’œil, jaunement :
l’espace blanc est jaune
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LIRE PLUSépaissir la couleur est une façon de réduire
la distance
sans agrandir le tableau
des larves d’insectes posées directement
sur un scanner haute définition
l’impression numérique ou aux pigments agrandie
jusqu’à la taille d’un homme
poisson dans un poisson
tenu entre les mains d’un vieillard
comment on se nourrit dans les abîmes,
sur la lune. Plancton. Lumière intérieure
de la baleine, grotte de chair
éclairée à la bougie dans la graisse
lumière nocturne de Jonas, Job
Jack
sers-moi encore un verre s’il te plaît
Jaune, c’est la couleur de la margarine et de la Poste, voire, vers la fin de ce chant en quatre temps, un « jaune d’autruche bizarrement étranglée ». Djinn, c’est un esprit malfaisant chez les musulmans, dont Hugo a fait un autre poème, mais « gin jaune » à la première page. Le mélange des deux, c’est le sexe plus la peinture qui fait que « le mot poème sans e a la forme d’un revolver / dirringer – gamme à crosses nacre, opaline, marbre, sable, fauve / il n’y en a pas exactement de crème / si la fragmentation du corps intervenait pour ça / des excréments / des macules, un pelage / approchons de là avec suffisamment de pollen pour tout jaunir ». Un texte qui rend « gruté » et réjoui, comme tous ceux de Lespiau, expert en radiographie à « la vitesse de la couleur ».
(Libération, 8 janvier 2009)