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Monologues ubiques
Avec quels mots parle-t-on ? Avec les siens ou avec ceux des autres ? Avec les siens ou avec ceux des morts ? D’où viennent les phrases qui nous traversent ? Sur ce sujet, Caroline Dubois livre un monologue d’une naïveté feinte : une réussite précise, économe, subtile…
(Éric Suchère)
Arrête maintenant a été initialement publié dans la collection Week-end en 2001.
Je me demande s’il est possible comme le voulait Jean-Pierre Léaud dans La Maman et la Putain de ne parler qu’avec les mots des autres — ceux des morts par exemple — ce dont certains vivants vous font toujours plus ou moins le reproche — ou de ceux qui parfois semblent parler vivants comme feraient des morts — c’est à dire avec des mots entre crochets qui sortent puis s’arrêtent et attendent — comme s’ils étaient dits exprès pour être pris et répétés.
Par exemple lorsque je m’entends dire je trouve toujours le monde tel qu’il est formidable — phrase que je n’aurais jamais pu inventer moi-même dans la réalité je sais que je parle avec les mots d’un autre — entre les beaux crochets d’un autre — mort maintenant mais dont le monde tel qu’il est est venu jusqu’à moi — et longtemps resté là au-dessus de ma tête a attendu que je sois en mesure de le prendre — j’aime ça.
LIRE PLUSJe trouve toujours le monde tel qu’il est formidable
— Arrête maintenant
REGROUPERArrête maintenant a été initialement publié dans la collection Week-end en 2001. Cette injonction n’avait pas fini de nous dire toutes ses intentions malicieuses. La narratrice de ce court texte, qui se présente sous forme de fragments de prose scandés par des tirets ménageant pauses et effets de retrait, questionne l’origine des mots et le poids que leur âge et emploi antérieur confèrent. Plutôt que d’essayer de parler avec ses hypothétiques propres mots (qui n’appartiennent à personne, et qui ne sont mots que parce qu’ils sont partagés, et souillés par la communauté qu’ils fondent), la locutrice se pose un défi: ne communiquer qu’à partir des mots des autres, morts et vivants, avec lesquels on habille, déguise et accoutre sa parole. (…)
(Poezibao, 16 février 2011)